Lhyperhumanisme contre le posthumanisme : article – Revue …

Un texte de Herv Fisher Dossier : Humanisme et technique Thmes : Humanisme, Science, Socit, Technique Numro : vol. 6 no. 2 Printemps-t 2004

Le fantasme du posthumanisme ne mrite pas la rfrence lhumanisme quil invoque, car il en nie lide mme. Il nest quun antihumanisme de plus, qui obit la logique de la technoscience pour nier ce qui est le propre de lhumanit: son nigme dfinitive, sa fragilit, son irrductibilit la matire. Le posthumanisme est une ide dingnieur en informatique, qui trouve son ordinateur plus intelligent et meilleur que lui. Et cest triste dire, mais peut-tre a-t-il raison, tant cette vision tmoigne dune navet et dune inculture philosophique navrantes.

Faut-il mme citer ces noms de gourous vous loubli, dont les bestsellers daroport se vendent pourtant bien sous couvertures gaufres? Soyons clairs: nous ne serons jamais des cyborgs. Lintelligence artificielle na pas grand-chose voir avec lintelligence du cerveau humain. Lre du silicium ne surpassera jamais lextraordinaire puissance de cration et dadaptation de la biosphre modestement fonde sur le carbone. La question ne mrite mme pas le temps dy rpondre.

Ce qui est plus intressant, cest danalyser limaginaire social et les mythes qui resurgissent dans ce phantasme de lge du numrique.

Il semble que constamment les hommes aient imagin des intelligences suprieures, quils ont le plus souvent divinises, pour expliquer les origines et les finalits de la vie, et quils se soient agenouills devant elles dans un trange esprit de soumission. Ils ont ainsi dress des temples la Nature, dote dune sagesse suprieure, aux dieux, puis Dieu, qui ils ont attribu la toute-puissance, incluant lintelligence du vrai, du beau et du bien et lternit. Du temps de Voltaire, Dieu est devenu un gnial horloger suisse, aujourdhui Grand Informaticien de lternel, et la technoscience semble dsormais ddie corps et me au dchiffrage du Grand Algorithme de lUnivers. Le grand Ordonnateur est devenu le Grand Ordinateur. Il est central, omniprsent, il sait tout et dirige tout selon une sagesse suprieure qui a inspir lironie dAldous Huxley et les cauchemars de la science-fiction du type soap-opera de tlvision.

Il ne manquait plus que des ingnieurs lectroniciens de pianos et quelques philosophes brumeux pour caresser nos fantasmes de soumission dans le sens du poil et nous annoncer les grands lendemains qui chantent et dchanteraient du posthumain, sous la forme hybride dun eugnisme gntique ml dinformatique plus rapide que la lumire.

Comment peut-on saveugler ce point avec une telle dvotion lutopie technologique numrique, au point de nier lextraordinaire complexit et crativit de la vie biologique et mentale? Tant de navet fera sourire avant peu. Et je suis trop fascin par lextraordinaire aventure de lge du numrique pour ne pas en dnoncer vigoureusement les dviances aussi funestes. En comparaison, les utopies politiques du xixe sicle sont des chefs-duvre dintelligence, de prudence et de ralisme. Et nous savons ce quil en est advenu

Comment peut-on attendre toutes les solutions des vertus de la vitesse de la pense, sur le modle de la cyberntique, et renvoyer un stade archaque et infrieur de lhumanit la mditation philosophique, ncessairement lente?

Il est vrai que lhomme a toujours tent dchapper sa biologie. Le chamanisme, la religion ont exalt son rapport un monde suprieur, magique ou religieux, dont le lien mme le valoriserait. Les croyances des socits archaques attribuaient chaque corps dhomme un esprit qui lui survivrait et qui pourrait mme revenir tracasser les vivants. Icare sest envol avec des ailes de cire et la chaleur du Soleil la prcipit au sol. Les religions judo-chrtiennes ont invent une audacieuse vision dun homme dot dune me qui le relie directement Dieu et qui lui permet de participer ainsi de ltre de Dieu, au prix, videmment, dune dvalorisation du corps renvoy la matrialit triviale et propice au pch. Linvention de lme tait ncessairement ce prix, encore que ces religions aient conu aussi une rsurrection finale des corps limage de Dieu! La technologie numrique nous est prsente aujourdhui comme un supplment de puissance et dme du corps.

Quant au corps, comment peut-on croire tout comprendre des modes de reproduction de la vie, et vouloir en prendre le contrle bio-informatique, alors que le dchiffrage du gnome ne touche encore quun niveau trs superficiel de la vie? Nous voyons bien que nous partageons presque la totalit du gnome des chimpanzs, et pourtant nous notons quelques diffrences despce qui relvent dautres complexits.

Contrairement la conception cartsienne de la simplification, nous devons aujourdhui admettre que plus cest simple, plus cest complexe et mystrieux. Ce nest pas avec le langage a, c, t, g des acides nucliques, que nous allons matriser un eugnisme prometteur, comme on amliore les performances dun ordinateur chaque anne!

Le fantasme mme des animaux-machines parat bien faible! Pourtant cette chimre mi-chair, mi-lectronique des cyborgs nest quune nouvelle dclinaison de cette ide danimaux-machines. Devrions-nous y aspirer pour nous surpasser? Ce serait le prochain stade dune rvolution anthropologique vers laquelle nous conduirait la technoscience? Allons donc! entendre ce genre de vu, il faudrait reconnatre que le progrs de lesprit humain demeure une hypothse plus quincertaine

Mais pourquoi ce fantasme de lanimal-machine? Quy aurait-il donc de suprieur dans la machine, par rapport la chair vivante? Tant de dmarches de chercheurs scientifiques et dartistes nous font rver aujourdhui non seulement dintelligence artificielle, mais aussi de vie artificielle considre comme un progrs! Il est vrai que la chair peut faire souffrir, autant quelle peut faire jouir. Et nous sommes soumis langoisse de sa mort inluctable, alors que la machine ne semble pas avoir dangoisse, nous donne des satisfactions et des pouvoirs, est facilement rparable et surtout, remplaable! En outre, le progrs de la machine est incontestable, tandis que celui du corps humain est plus incertain, malgr les avances de la mdecine qui en prolonge le confort et la longvit. Je peux changer frquemment dordinateur ou de tlphone mobile, pour un modle nouveau, plus la mode et plus puissant. Je change mes pneus de voiture plus facilement que mes pieds La machine se remplace en rajeunissant, tandis que le corps ne peut que vieillir. Voil une immense diffrence qui, bien y rflchir, peut me faire envier inconsciemment la machine. Celle-ci, par sa propre substitution, rajeunit et se perfectionne sans cesse. Si, par lhybridit de la chair et de la machine, je pouvais participer ce mouvement inverse de mon exprience de vieillissement, ne serait-ce pas un immense progrs pour lespce humaine? Mieux, je jette avec un certain plaisir la machine use ou dsute, pour en acqurir une nouvelle, trs suprieure: voil une exprience bien plus agrable lesprit que celle de la maladie, de la dgnrescence, de la mort et de lenterrement. Et leffet est peut-tre double: car je survis la machine que je jette et remplace. Voil une apparence de logique qui offre une grande sduction pour les esprits simples.

Et ce nest pas tout: la machine est lexpression instrumentale de mon pouvoir. Les publicits dans les magazines pour les derniers modles de tlphones mobiles le proclament mes yeux admiratifs. Le nouveau Nokia 6600, qui a mang un ordinateur, dit la pub, runit toutes les fonctions en seulement 125g, qui tiennent dans ma main comme un anneau magique: communication sans fil, connexion Internet, messages crits, appareil photo et camra vido numriques intgrs, information boursire, contrle Bluetooth de tous les quipements domestiques de ma maison intelligente, rception en streaming immdiat de films, haut-parleurs mains libres, radioreprage pour ma scurit, affichage en couleur du plan du quartier de la ville o je cherche une adresse, album photo, agenda, jeux et indicateurs dalerte sur ma sant physiologique et boursire. Le modle Sharp offre la mme chose avec un cran couleur haute dfinition, tandis que Orange lance le treo 600, le premier mobile avec palm intgr et que Nec invente la surf machine. Mieux: Siemens lance le mc60 sexy rvolutionnaire. On me promet puissance et plaisir. Si javale le tlphone mobile qui a aval un ordinateur, un tlcopieur, un appareil photo et une camra numrique, les atlas et plans des villes, etc., deviendrai-je un cyborg puissant et heureux comme un demi-dieu?

En faut-il plus pour tre convaincu que lhomme des civilisations du Nord investit aujourdhui ses fantasmes de puissance dans la miniaturisation lectronique, laquelle prfigurerait lintgration de puces et de nanotechnologies dans la chair mme du corps humain? Et partir de cette rverie, notre primate semble basculer volontiers dans lide quil sera un humain suprieur en fusionnant avec la machine.

Le commerce y trouve son compte, mais lhumanisme et la philosophie gure Jy vois plutt une rgression de lintelligence et de la psych humaines. Un danger? Gure, tant ce fantasme est infantile et inconsistant dun point de vue raliste. Il nous distrait plutt de la conscience de nos limites et de nos faiblesses. Qui na pas dj observ le plaisir de ceux qui sadonnent pour quelques sous des jeux darcades et soudain se prennent pour des hros, parce quils tuent sans relche sur lcran des monstres menaant comme autant de sentiments de leur propre impuissance dans le monde rel?

Faut-il pour autant attribuer la puissance de la technoscience tous les maux du fait que nous y investissons tant de fantasmes de pouvoir en raction la mdiocrit dclare de notre condition humaine? Certes pas: ce nest pas la technique qui est en cause, mais bien la nature rgressive de la psych humaine et les usages, bons ou mauvais, que les hommes en font. Dans CyberPromthe, jai analys de prs cet investissement imaginaire compensatoire que nous oprons dans la technoscience, o nous cultivons lillusion de dpasser nos limites et de complter notre tre irrductiblement inachev. De la science occidentale, qui a pris la relve de la religion, nous attendons donc lintelligence de lUnivers; et de la technoscience, nous pensons obtenir le pouvoir instrumental de procrer lavenir de lespce humaine abandonne en cours de route par Dieu. Et puisque Dieu nexiste plus, ce sont les Hommes qui seront des dieux, grce la technoscience. Voil un vieil imaginaire qui a resurgi.

Il faut dire que la voie semble libre pour dcliner ces ides. Lhumanisme bourgeois est assez dsuet et discrdit pour laisser surgir comme une nouvelle solution ou un nouvel espoir la barbarie du posthumanisme. Certes, les discours vertueux sur le principe dhumanit ne peuvent plus grand-chose pour nous, si lon en juge par les barbaries modernes. Une pense anglique ne fait pas de mal, mais elle ne constitue pas une analyse. Comment adapter notre vision de lhumanit et comment caractriser nos valeurs dhumanisme lge du numrique? Il semble que nous soyons assez dsesprs des hommes et de la nature, au point de vouloir modliser un ersatz magique.

Au posthumanisme, nous prfrons opposer lide dun hyperhumanisme. En sinspirant de la nouvelle logique des liens qui semble fonder lpistmologie numrique des sciences actuelles, nous pouvons tenter de repenser les liens humains, la sociologie comme la psychologie. Le passage de lhumanisme lhyperhumanisme signifie une volont commune dvolution du culte bourgeois de lunicit diffrentielle la clbration des liens entre les hommes, de lexploitation agressive de la nature son respect, du conflit la convivialit. Lhumanisme classique se fondait sur le caractre unique et irrductible de chaque tre humain. Et il a de fait cultiv lindividualisme plus que lhumanisme. Ainsi cette conception moderne a-t-elle abouti lre du soupon et lexistentialisme gocentr de Sartre qui prtendait pourtant en faire un humanisme! affirmant: Lenfer, cest les autres. Lhyperhumanisme, cest plutt la conception de lhomme de la classe moyenne, conscient de son appartenance la masse, et des liens qui en associent les atomes, et qui la font plutt agir et voluer comme un banc de poissons ou un vol de perroquets, que comme des prdateurs solitaires. Et cest bien dans le paradigme des statistiques, dans la manipulation cyberntique, que la classe moyenne trouve son reflet, et non plus dans le drame du thtre bourgeois ou du roman psychologique stendhalien, qui cultivaient les exceptions.

Lhyperhumanisme ne sinscrit donc pas dans lespace social par la confrontation, la manire dun Rastignac face Paris quil veut conqurir. Lhomme hyper sy positionne plutt au carrefour des rseaux qui le traversent et lintgrent. Et il est conscient de la multiplicit des espaces et des temps sociaux auxquels il appartient. Il sait quil volue dans lhybridit, dans un contexte ouvert, un agrgat de beaucoup de mondes simultans, ventuellement discontinus, ventuellement conflictuels ou incohrents entre eux. lchelle de la plante, il semble aussi que le temps des grands blocs politiques soit rvolu et laisse plutt place une tendance la fragmentation, quilibre par des zones dinterdpendance conomique et institutionnelle.

De faon gnrale, lhyperhumanisme ne tend plus la confrontation, mais plutt aux ensembles commerciaux, lconomie communautaire, aux rseaux dchanges. Il ne valorise pas la distance, mais bien le rapprochement, non pas la monade individualiste, la solitude psychologique, mais bien louverture et les liens interindividuels.

Lhyperhumanisme marque le passage de la solitude la solidarit. Il affirme la valeur de linterdpendance entre les hommes, entre les nations et entre les hommes et lUnivers.

Notre peur dune catastrophe finale apparemment invitable qui est la base du sentiment du tragique actuel nous incite chercher notre salut dans laccroissement dune thique de la responsabilit partage. Le sens de la responsabilit nat de la conscience des liens entre nous et les autres, entre nos actes et leurs consquences. Lhyperhumanisme entrane un degr lev de conscience de notre implication humaine, loppos de la drive gotiste ou goste de lhumanisme classique, centr sur une certaine exacerbation de lindividualisme. Toute responsabilit individuelle bien comprise tend ncessairement la conscience de la responsabilit collective laquelle elle est lie. Ce sentiment de responsabilit nat de la conscience des liens.

Lhyperhumanisme que nous opposons au posthumanisme implique donc plus dhumanisme et plus de conscience des liens que nous partageons, donc plus de conscience de limportance dune morale collective de la responsabilit.

Avec la monte en puissance de CyberPromthe, lavenir nous parat paradoxalement de plus en plus imprvisible, voire improbable. Nous jouons avec le feu numrique, alors que notre psych humaine na fait aucun progrs depuis lge des cavernes. Certains thoriciens ont mme pu prtendre quelle avait rgress. Et beaucoup de populations aborignes en sont convaincues, qui se dsolent de devoir frayer avec nous.

Au moment o la science intgre le principe dincertitude dans son paradigme pistmologique, il semble plus vident que jamais quon ne peut sen remettre aux progrs exponentiels et de plus en plus incontrlables de la technoscience comme la puissance et la sagesse dune nouvelle religion.

Puisque lespace et le temps semblent infinis et multiples, le seul point fixe et encore! autour duquel on puisse faire tourner lUnivers, cest lhomme, dans le respect de sa diversit.

Du point de vue de la religion, lhomme est au centre du monde que Dieu cr pour lui. Du point de vue de lastronomie, Copernic a suggr et Galile a confirm que cest le Soleil qui est au centre de lUnivers. Puis la mme astronomie nous dit aujourdhui que le Soleil se situe dans une galaxie banale aux confins dun Univers infini.

Nous proposons un recentrage humaniste, l o Copernic nous imposa de renoncer au gocentrisme. La querelle que nous faisons Copernic et Galile, nous la concevons dans le mme esprit qui opposa Gthe Newton. Newton avait coup sr raison du point de vue de loptique physique. Mais il ngligeait au nom de loptique lessentiel de la relation humaine aux couleurs, symbolique, subjective, vitaliste, sentimentale, y compris jusque dans ses illusions, plus vraies que la physique du prisme.

Aprs Galile, Darwin a achev cette entreprise de dsenchantement du rel en nous situant dans une chane volutionniste, qui nous fait descendre des batraciens, voire des bactries. Il fallait trouver le chanon manquant entre le singe et lhomme! On sait aujourdhui, si je puis dire, que lhomme est descendu de larbre, mais pas du singe

La modernit, ce fut laffirmation de la solitude de lhomme dans lUnivers, spar de la nature et abandonn dans les marges. Et voil que les prophtes daujourdhui annoncent la fin de lhumain et lavnement des cyborgs! Cest assurment trop!

Du point de vue de lpistmologie actuelle, nous devons tourner le dos la rvolution copernicienne. Il faut plutt rtablir lhumanit au centre de lUnivers, car tout ce que nous savons de lUnivers dpend des liens que lhumanit a tabli avec lui. Mis part un big crash apocalyptique, tout ce qui adviendra de lhumanit dpendra de lhumanit. Et cest bien l que se situe lhyperhumanisme.

Du point de vue du temps, puisque nous vivons nouveau dans un temps vertical, qui semble tenir en quilibre comme une toupie qui tournoie sur elle-mme comme la Terre, et jusqu un certain point, comme llectron (spin)! , sans capacit de prvoir les changements, et mme dans une multitude de temps verticaux simultans, cest encore et toujours lhomme, la diversit actuelle des hommes, qui apparat comme le pivot du temps, sa mesure et la source de la multiplicit de sens quelle lui confre.

Puisque selon lastrophysique actuelle lUnivers na pas de centre, la rvolution copernicienne tombe dans le non-sens. De quelque ct quon regarde, il est donc ncessaire de nous considrer nouveau, nous, tres humains, comme le centre de cet Univers alinant, de rtablir notre place dominante au cur de cet Univers qui de toute faon, en dclinant lenvers une expression clbre, na nul autre centre que nous-mmes, nulle autre circonfrence que celle de lesprit humain.

Lhypothse de Copernic et les calculs de Galile taient courageux. Astronomiquement, leur vision tait correcte, certes, mais lastronomie est une science antihumaniste. Elle dvalorise lhomme et le dresponsabilise ou laline dans une vision dsesprante. Galile a interprt lUnivers en le considrant lenvers, comme un mcanisme optique. Il faut reconnatre que Galile a contribu une libration de lesprit face lalination religieuse, mais ce fait tant aujourdhui acquis et vers son crdit, il est temps de ractiver une vision anti-galilenne, de sengager dans une inversion de la rvolution copernicienne, qui se limitait au champ de lastrophysique, alors quil nous faut considrer une cosmologie humaine. Ce fut le premier principe de lhumanisme, tel qunonc par Marsile Ficin et Pic de la Mirandole la Renaissance. Mais quoi nous a servi de nous tre librs de lanimisme, puis de la croyance en Dieu, si ce fut pour retomber dans une nouvelle alination, astrophysique cette fois? Lglise affirmait, en accord avec la Gense, que lhomme a reu de Dieu le commandement de dominer la nature et non dtre domin par elle, de soumettre la terre et dominer les animaux. La thorie copernicienne tait donc hrtique. Et dailleurs, nest-ce pas ce commandement qua raffirm Descartes aprs Francis Bacon et que proclame la technoscience actuelle?

Cest sur cette Terre que nous habitons lUnivers. Pour nous, cet Univers ne sera jamais rien sans lhomme, moins que nous y dcouvrions quelque part un jour une autre forme de vie et dintelligence gale ou suprieure la ntre, ce qui changerait totalement notre conscience et crerait une nouvelle cosmogonie. En attendant, lhumanit est le centre de lUnivers. loppos du paradigme copernicien, il faut rtablir lhomme au cur de lpistm dont il est lunique sujet et instrument.

La plante devient hyper. Mais doit-on se rsoudre transformer lhomme en simple point nodal dintersection dans des rseaux et aplatir ce point la psych? Le marxisme avait ni lhomme au nom des classes sociales et des processus historiques; Althusser a labor un structuralisme marxiste intenable, excluant en dernire instance toute libert individuelle. Nous avons renonc ces ides. Serait-ce pour les reprendre selon une nouvelle mtaphore, avec les mmes abus de pense et risques dalination, en levant les rseaux numriques au niveau de nouveaux dieux et en niant lhomme? Comment ne pas percevoir dans cette ide de fragmentation rhizomique de ltre humain un antihumanisme possible, qui nous invite miser dautant plus sur les liens constructifs de solidarit et de responsabilit de lhyperhumanisme? Dautant plus que la surface, mme en rhizome, nexiste pas plus que la profondeur. Ce ne sont que deux mtaphores opposes! Les interrelations humaines ne spuisent pas en images spatiales, quelles soient de surface ou de profondeur. Reconnaissons limportance des connexions, mais redonnons aussi aux intriorits et aux autonomies individuelles le rle actif, constitutif qui est le leur, sans se voiler la face au nom dun nouveau structuralisme numrique dsesprant.

Lhyperhumanisme nest conciliable ni avec un Althusser, ni avec un Lvi-Strauss du numrique, ni avec aucune hypostase ou rification des processus, des structures ou des changes, qui ne sont, l encore, que des mtaphores dont il faut faire un usage prudent.

Si nous proposons de replacer lhomme la place qui est la sienne, au centre de lUnivers, ce nest pas pour lmietter en fragments lectroniques dans des rseaux numriques! Il faut trouver le point dquilibre entre les liens et les autonomies qui caractrisent chacun de nous. Cest, comme toujours, dans la complexit que nat la cration individuelle et le mouvement social.

Pourtant, en nous librant des alinations religieuses et politiques, sans nous soumettre lalination de lutopie de la technoscience, nous pourrions redcouvrir notre libert cyberpromthenne de procrateurs de notre univers. Lhyperhumanisme, ce pourrait tre aussi ce renforcement de notre conscience et de notre volont de choisir notre avenir, de donner un sens humain lUnivers en assumant les risques de la technoscience, les risques de notre libert nouvelle, et en construisant une thique collective capable dassurer notre scurit et notre progrs sur la base non plus de la lutte entre les individus et les peuples, mais de la solidarit (des liens) entre les hommes et dun sens plus lev de nos responsabilits.

Ne nous y trompons pas: lthique passe avant la logique de la technoscience. Sinon, o allons-nous? LUnivers perd tout sens. Lhyperhumanisme, cest laffirmation de limportance dune thique de la responsabilit plantaire, qui est devenue la condition de notre avenir, de notre survie, et le moteur possible de notre volution, bien davantage que la technoscience. Mais malheureusement, la technoscience est beaucoup plus puissante que lthique et risque den venir bout, si nous ny prtons garde. Nest-ce pas dj devenu un constat quotidien? Le dbat sur le clonage, sur la manipulation des gnes ou des cellules souches, la rsolution des conflits par la violence guerrire ne donnent-ils pas constamment la prsance aux logiques de la science et de la technologie sur les valeurs thiques les plus fondamentales?

Les morales individuelles, religieuses ou civiles ne suffiront pas contenir les puissantes tendances la catastrophe humaine qui sont en germe dans ce contexte nouveau. Nous avons besoin dsormais dune morale plantaire interculturelle, une charte universelle hyperhumaniste, qui dicte des codes de conduite collective, tatique et internationale ad minima, au nom de laquelle une institution internationale puisse intervenir pour interdire des pratiques scientifiques mettant en danger les valeurs de la vie, des pratiques de cybersurveillance contredisant les droits et liberts humains, des actions industrielles susceptibles de ruiner les quilibres cologiques dont nous dpendons tous globalement, des actions armes, violentes, menaant des populations avec des armes de destruction massive miniaturises. Le respect de la vie, de lenvironnement, de la libert, de la dmocratie et de la paix, la raffirmation juridique de droits humains intangibles et imprescriptibles, sont des valeurs universelles minimales qui ne peuvent tre mises en cause sans que toute la plante en soit menace.

Mais attention: une thique plantaire ne saurait reposer sur une culture plantaire uniformise. Cette thique plantaire est ncessairement globale, mais ne peut se fonder que sur le respect des consensus locaux et des diversits culturelles. Les hommes et les socits doivent sentendre sur un commun dnominateur minimal de survie de tous par un abandon mesur, mais ncessaire, dun fragment de la souverainet de chacun. On ne fera pas ici de discours moraux! On parlera seulement selon les exigences de linstinct de survie que nous sommes bien obligs de partager dsormais! Cest la mme problmatique, lchelle plantaire, dun quilibre entre les droits et les liberts, que nous recherchons constamment lchelle locale et sociale. En ce troisime millnaire, cette recherche est devenue un incontournable, mais aussi un redoutable dfi, dans la mesure o cette recherche dun consensus traverse des diversits culturelles et identitaires complexes et doit acqurir une lgitimit plantaire permettant un autre incontournable: la ncessit darmer cette thique pour obtenir quelle soit respecte, comme toute morale sociale lmentaire. (Nous ne parlons videmment pas ici des morales individuelles qui, elles, sont dun tout autre ordre.) Le mpris de lonu, des accords internationaux comme celui de Kyoto, ou de linstitution dune cour pnale internationale exprim par les tats-Unis sous le rgne de Bush fils, qui prtendraient rgir le monde selon leur seule volont impriale, donne bien la mesure de la difficult de ce projet pourtant essentiel pour lavenir de lhumanit. Il semble que nous soyons encore dans un ge primitif de lhumanit, alors que nous disposons dun pouvoir technologique qui crot exponentiellement. Nous sommes lre de tous les dangers.

Herv Fischer*

NOTES

* Artiste-philosophe, Herv Fischer a publi Mythanalyse du futur (2000, disponible sur le site http://www.hervefischer.ca), Le choc du numrique (Montral, vlb, 2001), Le romantisme numrique (Saint-Laurent, Fides, 2002), CyberPromthe (Montral, vlb, 2003) et La plante hyper. De la pense linaire la pense en arabesque (Montral, vlb, 2004), o il prsente sa thse sur lhyperhumanisme et lthique de la responsabilit lge du numrique.

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